Tout a vraiment commencé une nuit de garde. Iel peut vous donner la date et l'heure précise du moment de bascule, le 5 avril 1994 à 2h30 du matin. C'est assez simple de se rappeler de ces détails, c'est la date et heure de décés indiqués sur le dossier de sa.on patient.e. Tous les médecins vous le diront, il y a des patient.es qui vous changent. Enfin, iels ne parlent généralement pas aussi littéralement que Roman. Cela avait été une nuit assez tranquille, jusqu'à ce qu'on L'amène aux urgences. C'était Roman qui L'avait pris.e en charge. Encore aujourd'hui, plus de dix ans après les événements, iel n'était pas certain.e de comment Li décrire ou définir. Tout ce qui comptait sur le moment c'était qu'Iel était mal en point et avait besoin d'aide, et vite. Et Roman était le médecin de garde libre le plus proche et le plus réactif. Les ambulancier.es n'avaient absolument aucune idée de qui (ou quoi) était leur patient.e X. Un appel anonyme, un corps martyrisé qui respirait à peine sur place, iels n'avaient pas cherchés plus loin sur le coup. Et plus tard iels ne trouveraient pas plus.

Iel n'était pas capable de communiquer et clairement en souffrance. Roman avait simplement voulu aider. Faire quelque chose, n'importe quoi. L'Enfer est pavé de bonnes intentions. Et les actions ont des conséquences, et les conséquences furent particulièrement violentes pour Roman.

Roman théorisera plus tard, bien des mois plus tard durant des nuits d'insomnies, que c'était en partie la nature de son pouvoir qui avait été la cause de la suite des évènements. Le lien qu'il avait tissé entre elleux, la volonté féroce de vivre de l'être alors confronté à sa mort prochaine. La douleur physique, iel ne s'en rappelle pas, c'est un flash blanc et net. Iel sait qu'Iel lui a sauté à la gorge littéralement, alors que sa main était encore posée sur Son bras. Iel sait que la peau de son visage a été déchiré et que sa gorge a été ouverte, iel en garde encore aujourd'hui les cicatrices. Mais iel ne s'en rappelle pas.

Iel ne se rappelle pas avoir fini sur le sol des urgences en hurlant en choeur avec l'Autre. Iel se souvient juste de la certitude tranquille, presque impassible qu'iel était en train de Changer, drastiquement. Qu'il y aurait un Avant et un Après à cette nuit. Iel se souvent de l'instant où Sa vie s'est éteinte, et où la sienne s'est soudain retrouvée parcourue d'un élan nouveau. Les heures qui suivirent, c'est le néant. Quand Roman rouvrit les yeux, il était dans une chambre de l'hôpital avec une infirmière beaucoup trop soulagée de le voir se réveiller pour qu'il ne se soit pas passé quelque chose de grave. Durant les semaines qui suivirent on lui posa beaucoup trop questions auxquelles il n'avait pas de réponses. Il avait Changé, et cela se voyait, se sentait. Dans les choses évidentes d'abord, ses cheveux noirs désormais méchés de blancs avant l'heure et les cicatrices qui décoraient son visage. Dans les choses plus subtiles ensuite, le vert de ses yeux qui semblait avoir pris une nouvelle teinte, l'impression diffuse en le regardant que Roman Oberoi avait la forme d'un être humain, ressemblait à un être humain, mais ne l'était plus totalement. C'était indéniable, mais où était la limite ? Personne n'avait pu répondre à la question.

On li avait fait passer des tests, bien sûr. Il n'en était pas ressorti grand chose d'intéressant, juste la confirmation qu'il allait y avoir du travail administratif pour mettre à jour sa situation. Un vieillissement ralenti avait été noté, une sensibilité accrue aux changement lumineux mais à part ça… Pas grand chose. On s'en était contenté, et Roman n'avait pas cherché à insister. Pas dans ce cadre officiel en tous cas, son intuition lui soufflait qu'il vaudrait mieux que les autorités ne se penche jamais vraiment sur la réalité de sa situation. Certainement sa défiance de l'Etat qui s'exprimait, mais iel n'a jamais eu de raison de regretter cette décision.

Il lui avait fallu un peu de temps pour saisir  l'étendue des Changements. Et surtout le plus important, celui qui était passé entre les mailles des tests. Sa Vision, Roman avait décidé de l'appeller ainsi, son nouveau pouvoir. Au début iel n'avait pas sû quoi en faire, cela lui paraissait franchement plus encombrant qu'autre chose et il lui avait fallu du temps pour apprendre à le maîtriser. Et puis… Et puis l'idée lui était venue, naturellement. Il avait commencé à endosser le rôle de lanceur d'alerte, de personne qui gratte là où on n'aimerait pas, et il avait mis de plus en plus de moyens pour exposer ce qu'il savait se trouvait sous le tapis. Toujours dans l'anonymat, mais de plus en plus avec des méthodes… disons que faire appel aux services d'un hacker et le faire chanter pour son silence avec son secret le plus précieux, pour avoir accès et diffuser des données confidentielle d'un homme politique n'était pas franchement de l'éthique la plus claire.

Roman avait toujours essayé de se montrer prudent. Il confiait ce qu'il récupérait à des journalistes indépendant.es sous le pseudonyme de The Eye. Et plus il creusait et attaquait des noms importants, plus sa réputation grandissait. Pendant que Roman continuait sa vie de médecin en plein jour, il avait aussi son alias. Ses crimes sans victimes innocentes. Enfin… pour un temps.

L'Enfer est pavé de bonnes intentions.
Les action ont des conséquences.

Roman pensait avoir appris ces leçons. Mais en 2006 iel se rendit compte que non.

La journaliste était un de ses contacts privilégié, iel savait que la femme ne lâcherait jamais rien avant d'avoir tiré tout au clair, exposé les faits en pleine lumière. Il l'appréciait énormément pour ça. C'est ce qui a causé sa mort au final. Et même s'il n'avait pas appuyé sur la gachette, même si il était en train d'accompagner un patient durant son traitement à l'autre bout du pays à ce moment là. C'était tout comme. Iel aurait tout aussi bien pu la pousser dans la tombe qu'il lui avait creusée. Iel l'avait mis en danger, mal estimé les risques, n'avait pas réalisé jusqu'où leur cible était prête à aller.

Judith Tremblay n'avait pas eu une mort rapide ou douce.
Pas plus que sa dépouille n'avait eu droit au respect le plus élémentaire.
Elle avait deux enfants, et un parent à charge.

Roman Oberoi qui avait prêté serment de ne pas tuer avait son sang sur les mains.

The Eye avait disparu du jour au lendemain. Et le Docteur Roman Oberoi avait déposé sa démission après un congé maladie soudain.

Pendant quelques mois il ne fit rien. Il avait envie de disparaître, mais ça ne ramènerait pas Judith, ce serait même comme lui cracher au visage une ultime fois d'une certaine façon. Iel en était arrivé à la conclusion très simple : il lui fallait se racheter, et il n'aurait jamais assez de toute une vie pour ça. Alors il avait cherché un endroit où on aurait vraiment besoin de lui. Là où il pourrait, peut-être, faire une différence. L'annonce de recherche d'un médecin à la FEAH était arrivée au bon moment. Iel avait postulé et avait ensuite organisé son déménagement après une entretient fructueux. Cela n'avait pas été trop dur, il avait un excellent cv, de bonnes recommandations et il n'avait pas discuté le salaire.