De son enfance, Nora se souvient surtout de l'odeur désagréable de l'alcool et des manières brutes d'une mère sévère. Ses deux mariages, deux échecs à ses yeux, lui ont donnés deux enfants qu'elle élève seule. Car aucun des deux pères n'a été fichu de rester auprès d'elle. Si Léo a reçu un traitement correct, c'est le départ du dernier homme qu'elle pensait être, cette fois-ci, l'amour de sa vie, qui a anéanti une partie de l'amour maternel qu'elle était censée vouer à Nora. « Nora », car la rumeur court dans sa famille que sa mère était saoule lorsqu'elle a complété les papiers de l'état civil. Eleonora. Tel aurait dû être son nom. Ce n'est qu'avec le temps que la lycante a compris que ce n'était surement pas qu'une rumeur infondée.

Fort heureusement, Léo était là. Aîné de 8 ans de plus, ils étaient presque comme des jumeaux inséparables, même s'ils n'avaient pas le même père. Ils construisaient des cabanes en couvertures et Léo lisait des histoires dont il déformait le cours en s'ajoutant, lui et sa petite sœur, improvisant des jeux ou tout autre subterfuge pour s'échapper de la dure réalité. Si la petite dernière était encore trop jeune et innocente pour le voir, l'aîné voyait bien la différence de traitement. Il était le prodige et elle, l'enfant de trop.

A l'adolescence, Léo a commencé à manifester des pouvoirs qu'il a rapidement su gérer et maîtriser, sans jamais faire de vague. Du côté de Nora, cela n'a pas été aussi simple. Mordue par le chien loup des voisins, elle n'a développé dans un premier temps que la force surnaturelle des lycanthropes. Sur son passage, les poignées de portes et autres instruments du quotidien finissaient souvent déformés voir cassés. Et tout cela n'a fait que creuser l'écart de traitement avec Léo.

Nora a bien essayé. D'être la petite parfaite. Des bonnes notes, un comportement exemplaire et discipliné. Imitant Léo qui finit par être accepté à Saint-Ange, où il pourrait mettre à profit ses dons. Cependant, rien n'était suffisant aux yeux de la marâtre, Nora n'était pas suffisante. L'innocence de l'enfance s'est alors mue peu à peu en injustice. Elle avait le goût de la colère et d'une adolescence rebelle. Si la petite fille exemplaire ne retenait pas son attention, peut-être que l'adolescente insolente allait changer les choses. En l'absence de Léo, parti étudier, les premières disputes finirent par éclater. Au départ, rares et finissant rapidement après une injonction de cesser les hostilités et d'écouter la matriarche Richard, elles escaladèrent petit à petit, bien que Nora internalisait cette colère immuable. Elle ne souhaitait pas être violente. La violence ne résout rien, son grand frère lui a martelé. Mais les mots ne résolvaient pas grand chose de plus avec une mère comme la sienne.

Son comportement se dégrade et les notes chutent. Elle manque même de se faire exclure définitivement après qu'elle ait écrasé son poing dans le nez d'un élève qui avait osé insulter son frère. Dépassée, la génitrice manque de jeter Nora à la porte. Léo, depuis Saint-Ange, réussit à la convaincre de ne pas le faire. Pour apaiser les tensions, il rentre au domicile familial un week-end sur deux mais la colère continue à s'accumuler. La magie de l'enfance, où les mots rassurant de l'aîné faisait disparaître tous les problèmes de sa sœur, était terminée.

Un soir de pleine lune, Nora sort prendre l'air après une énième dispute avec sa mère, cherchant à ne pas céder à des pulsions d'une violence viscérale. Il ne fallut que deux pas pour que les faisceaux lunaires éclairent l'héritage génétique lycanthrope, les os craquant et se déformant douloureusement pour laisser place à la Louve terrée dans l'ombre jusqu'alors. Au réveil, Nora ne se souvient de rien mais les coups de griffes et de crocs dans l'encadrement de la porte et son frère, présent cette nuit-là, lui permettent de comprendre rapidement la situation sans pour autant en être maîtresse.

Tout lui échappe et les soirs d'après les métamorphoses se répètent. Une nuit, la lycante s'éloigne dans une forêt environnante et croise un autre représentant de son espèce bien plus fort. Un lycant panthère qui n'hésita pas à remettre à sa place la Louve bien trop agressive et arrogante à son goût, lui assenant un coup de patte, toutes griffes sorties, laissant la lycante défigurée au réveil.

Léo, ne pouvant pas sacrifier sa future carrière pour surveiller chaque soir Nora, celle-ci est envoyée chez sa tante et son oncle ayant la capacité de contenir la Louve sans pour autant pouvoir trouver de solution au manque effroyable de lucidité de Nora pendant ses phases de transformation. Toutefois, là où sa mère ne voyait rien en Nora, eux y voit une future super héroïne, qui pourrait aider un tas de gens en détresse la nuit si elle parvenait à se contrôler. Nora n'est pas convaincue mais son oncle et sa tante le sont. Ils envoient en secret des dossiers à plusieurs écoles, dont l'école de son frère. Au vu du dossier peu élogieux de la lycante, Saint-Ange fut la première école à refuser, et ce malgré le succès du super héro qu'est maintenant Léo, passé dans leurs rangs. Une pluie d'autres refus. Nora s'était résignée, qui croirait au potentiel d'une lycante à la gueule balafrée et incapable de transformations maîtrisées ?

La réponse finit par tomber. La FEAH.