Morphée avait décidé de bien faire son travail : à défaut, de consulter les dossiers des étudiants les uns après les autres, voir qui pourrait mal tourner ou qui avait déjà des casseroles aux fesses. Il ne voulait pas faire dans le délit de faciès, mais il connaissait déjà deux ou trois noms dont rien que l'évocation lui donnait plus ou moins envie de détruire des murs.

Alors, le conseiller d'orientation de la FEAH avait écrit quelques convocations. Un petit mot court, mentionnant l'importance de l'orientation et cette réunion ce jour précis dans cette salle-là qui servait d'habitude aux TD. On était bien loin de son bureau habituel, alors il avait fait immigrer toutes ses affaires, s'était, allure de roi (il n'avait pas de cicatrice aujourd'hui et avait l'air d'avoir la belle vingtaine) promené dans les couloirs avec une légère caisse contenant quelques dépliants, des stylos, tout ce qu'il fallait pour s'occuper de ses jeunes.

Parmi les noms sélectionnés, il en avait envoyé plus par conscience professionnelle qu'autre chose. Par exemple, il ne souhaitait pas que cette créature du nom de Khora se rende dans cette salle. Il ne souhaitait non plus qu'iel remplisse la salle de son petit ton aigre qui lui donnait envie de mourir (ou de charcuter quelqu'un) à chaque fois qu'iel ouvrait sa pitoyable petite bouche. Morphée ne savait pas d'où venait cette aversion, mais il s'en méfiait comme si iel était le diable en personne.

La salle n'avait pas été aérée, elle sentait le renfermé et tout commencerait d'ici quelques minutes. Il posa les affaires, râla un peu (pour la forme, il s'agissait de Morphée, ne l'oublions pas), puis ouvrit la fenêtre. Il faisait froid dehors mais franchement, avoir froid était le dernier de ses soucis lorsqu'on pensait à l'odeur de fromage qui dégageaient les étudiants qui avaient précédemment squatté le lieu.

Il s'agita, mit quelques chaises, nettoya la table.

(Râla encore, pour la forme.)

Enfin, il sortit le paquet de formulaire qu'il souhaitait leur distribuer, avec les demandes de stage. Leur avenir était précieux, il ne souhaitait vraiment pas qu'ils s'orientent vers la mauvaise voix, celle des méchants.

(HJ : ce rp est libre, si vous jugez que votre personnage a un trait typique des méchants, vous pouvez avoir reçu cette convoc'!)

Pour une raison qu'iel ignorait, Koko avait été un'e des rares de son groupe à avoir reçu cette convocation pour une 'réunion d'orientation'. Des entretiens d'orientation, iel en avait déjà eu quelques uns. Avec cet homme appelé Morphée, qui ne ressemblait absolument pas son aîné du Rêve. Pour une raison étrange, celui-ci tenait absolument à lae pousser dans des voies héroïques, ou dans des métiers chiants. Alors que Koko, ellui, savait déjà comment iel allait occuper son temps en tant qu'humain'e. Iel allait réunir plein de secrets dans les rêves des gens, pour les échanger ensuite contre des choses qu'iel veut. Ce n'était ni fatigant, ni salissant, et ça lui laissait plein de temps pour faire des origamis ou étudier l'humanité de plus prêt. Iel trouva ça étrange donc d'être invité'e, car pour ellui, c'était une affaire réglée, et iel avait bien senti que Morphée ne l'aimait pas trop. Iel avait l'habitude, qu'on ne l'aime pas trop, iel ne s'en formalisait donc pas, mais en général, les gens qui ne l'aimait pas trop faisaient leur possible pour ne pas se retrouver en sa présence. Sa curiosité était donc suffisamment piquée pour qu'iel daigne s'y rendre.

Emmitouflé'e dans son nouveau vêtement préféré, la veste que lui avait donné le gentil mort-vivant des catacombes (iel avait réussi à faire partir l'odeur, mais elle s'était décolorée avec les passages en machine) iel se rendit donc à la salle indiquée. La porte était ouverte, iel entra donc. Il faisait froid à l'intérieur et Koko fut d'autant plus content'e d'avoir pris la veste d'Orphée. Iel était lae premier'e arrivé'e. Il n'y avait que le conseiller d'orientation, qui s'obstinait à porter des visages qui n'étaient pas (plus) les siens. Khora s'avança jusqu'à lui, pour lui rendre son invitation. C'était maintenant un très beau pliage en forme de chat, car c'était ce qui lui évoquait Momo, un chat farouche. Puis, sans dire un mot, iel alla s'asseoir sur la chaise la plus proche du radiateur.

Depuis que deux de ses côtes avaient été fracturées, Sierra trouvait ses journées beaucoup plus mornes. Un mois de guérison la séparait de son hobby le plus précieux, le combat. Elle ne pouvait plus s’entraîner sérieusement, ni même participer aux tournois clandestins qu’elle-même organisait et qui constituaient sa principale source de revenus. Ça craignait, mais la brésilienne arrivait à se débrouiller. Il y avait toujours l’argent des paris et des ventes peu légales. Les opioïdes prescrits par son médecin se revendaient comme des petits pains ; elle s’était permise de trafiquer un peu son ordonnance.

Tout était bon pour la distraire en attendant que ses os ne se ressoudent, il lui arrivait même d’assister à tous ses cours de la journée. Alors, quand elle reçut la convocation de ce cher conseiller qui s’inquiétait pour son avenir, Sierra ne la balança pas directement à la corbeille après en avoir lu le titre. Elle considéra même longuement se rendre à cette réunion qui serait certainement très barbante. À quoi bon se renseigner sur ses possibilités d’orientation alors que ses projets étaient très clairs ? Ce n’était pas comme si Morphée, ce type trop droit dans ses bottes, comptait l’aider à les mettre en place. Mais, en même temps, elle pourrait peut-être y repérer quelques âmes perdues à intriquer dans ses plans. Rien de tel que des jeunes adultes désœuvrés et sans perspective d’avenir pour alimenter son gang. Et puis, si ça la saoulait trop, rien ne l’empêchait de partir en plein milieu tout en lâchant son meilleur doigt d’honneur en direction de l’animateur.

C’est ainsi qu’elle débarqua dans la salle avec sa froideur habituelle, n’adressant même pas un regard aux personnes déjà présentes dans la pièce. Elle se hâta vers le siège le plus éloigné de Morphée et s’y installa sans un mot. Ensuite, elle sortit son portable de sa poche et tapa la discute avec trois contacts sélectionnés au hasard dans son répertoire.

La convocation avait été reçue par Séphora Belami avec un levé de sourcil que d'aucun pourrait qualifier d'acrobatique. Elle n'avait pas besoin d'aide pour son orientation, elle avait un projet professionnel précis et réfléchi, merci bien. Mais après lecture et relecture du papier elle n'avait trouvé aucune indication qu'il s'agissait d'une réunion optionnelle. Après un soupir de frustration et un rapide regard sur son agenda, la Belami avait conclu que le plus profitable était de se rendre à cette réunion. Et de s'éclipser durant la première pause café sans se retourner. Le pire qui pouvait lui arriver était de s'ennuyer durant une heure.

Elle était donc présente dans le bâtiment sous-chauffé et poussiéreux, Grande Mère soit bénie qu'elle ne soit pas ashmatique. Comme d'habitude tirée à quatre épingles et détonnant au milieu de l'ambiance informelle des bâtiments et étudiant.es. Déjà agacée d'être là, elle sortit de son sac son thermos personnel de thé. Au moins aurait-elle une boisson correcte pour supporter ce rassemblement.

Elle hésite presque à la foutre à la poubelle, ou même la brûler, cette foutue convocation. Elle a l'odeur des problèmes et le goût d'une réunion ennuyeuse. Pourtant ça pendait au nez de la lycante et elle était plus étonnée que ça ne lui retombe dessus que maintenant. Elle avait passé toute sa première année à passer outre la responsabilité de ses actes comme un chien fou courant entre les goutes sous la pluie. Vulgaire, toujours en retard, parfois arrogante avec le corps enseignant qui, selon elle, ne lui apporte rien de plus que ce qu'elle a réellement besoin. Et un doute perpétuel sur son envie de devenir une super. Est-ce qu'elle faisait ça pour elle ou pour la partie de sa famille qui croyait en elle ? Sa motivation première était de réussir à se maîtriser, prendre le pas sur la Louve. Prendre le pas sur la colère. Mais le temps passe et rien n'a bougé ne serait-ce que d'un pouce. Alors la patience de Nora s'étiole.

En tailleur sur son lit, elle texte rapidement Titania, l'une des rares mais ô combien précieuse personne à réussir à garder la Louve sur le bon chemin. Elle se plaint Nora, de cette réunion qui va, elle en est sûre, l'amener pas plus loin que son point actuel. Elle réfléchit à une manière d'éviter cette séance de reproches collective. Pense même un instant à demander son avis à Titania sur le sujet mais finit par se dire que son amie lui dirait de se présenter là bas. Il est fort probable que mademoiselle Soleil ne soit pas ravie à l'idée que Nora finisse à la porte de la FEAH après avoir manqué une simple convocation. Elle soupire, encore, en voyant la salle dans laquelle a lieu cette vaste blague mais se décide à bouger.

Traînant ses groles dans les couloirs du campus, les mains fourrées dans les poches de sa veste de baseball, Nora fit une pause avant d'entrer dans la salle dont elle pouvait déjà sentir le renfermé d'ici. Remettant une dernière fois en cause son choix, elle franchit le pas de la porte et réalisa qu'il n'y avait pas tant d'élèves que ça. Elle qui pensait faire une sieste discrète au fond de la salle.

« Yo... Eh bah. Quelle ambiance de merde. » lâcha-t-elle en guise de salutation en constatant le silence de mort qui régnait dans la salle.

Elle résista à l'envie de faire demi-tour et prit place en passant entre les rangs à côté d'une des fenêtres grande ouverte. Elle chopperait peut-être la crève mais son nez sensible la remerciait déjà.

Non, décidément, cette réunion, Morphée ne voulait pas l'animer. Il savait pourquoi c'était nécessaire, il voulait avoir l'air de quelqu'un qui s'en souciait mais.

Ne savait même pas pourquoi il avait invité Khora.

Lae voir entrer dans la pièce, avec ses cheveux longs et son air à s'en foutre de tout, Morphée eut une grimace. Le pire fut sûrement quand il comprit que Khora avait une veste qu'il avait déjà vu sur une de ses connaissances.

Il grinça des dents, s'immobilisa et le plus discrètement possible (pensait-il) tapa un message dans son téléphone à destination d'Orphée. La réponse ne tarda pas : il était en vie, Khora ne lui avait rien fait, à part racketter son manteau. C'était déjà bien trop. Il regarda l'invitation rendue, puis jeta un regard à sa nemesis, tranquillement installée à côté du radiateur.

Mh.

Pourquoi l'avoir invité'e ?

Il ne l'avait pas salué, pas un seul bonjour, il ne s'emmerderait certainement pas à accorder une salutation à tout le monde, reconnaissait quelques visages parmi les nouveaux venus. Cette fille de deuxième année, Sierra, qui, lui avait-on dit, aimait se battre. La blonde de première année, quelqu'un de bonne famille qui avait un pouvoir de sorcière, sans oublier la sœur de son ami, une lycanthrope au caractère farouche.

Morphée se leva et alla fermer la porte.

Au passage, il éteignit le chauffage : le mot d'ordre de la direction était « économies d'énergie ». C'était purement gratuit, donc pour ne pas trop envenimer les choses, il ferma la fenêtre. Il restait encore un peu cette impression de renfermé, mais le pire était passé.

« Bonjour. »

Maintenant qu'il y pensait, il avait l'air d'avoir le même âge qu'eux. Une apparence qui l'aidait bien et lui permettait de se rapprocher de certains. Pourtant, aujourd'hui, le malaise était palpable ; Morphée soupira avait de sortir de sa pochette quelques dépliants.

« Vous savez sûrement pourquoi vous êtes ici. Pour les quelques uns d'entre vous qui ne m'aurait jamais vu, je suis Morphée Doisneau, conseiller d'orientation. Il est important de réfléchir à l'avenir, vous avez tous d'excellentes capacités, je suis ici pour vous permettre de vous mettre en contact avec d'éventuelles entreprises, des boîtes héroïques. »

Il fit passer toute une série de feuilles par la droite, elles contenaient quelques dépliants sur les entreprises héroïques et le secteur de l'embauche, la boîte d'avocats d'Avalyon travaillant dans le domaine et reconnue comme telle, des offres d'emploi ou de stage. C'était clair qu'avec leurs pouvoirs, on pouvait rapidement les imaginer candidater chez les méchants.

Khora le ferait, il en était sûr. Khora était aussi un cas à part.

« Je voulais que nous commencions tous à nous présenter. Que vous disiez ce qui vous importe, vos idées d'orientation. »

Bordel, il rêvait d'un chocolat chaud. Ou il allait inviter Philippe pour se murger la gueule après cette réunion à l'ambiance désespérante.

Bonne idée, tiens.

N'ayant rien de mieux à faire en attendant que la réunion commence, Khora dévisagea les autres étudiants rentrer les uns après les autres. Et iel aurait été bien incapable de trouver le motif qui les reliait les uns aux autres. Ils n'avaient tous aucun point, à part étudier à la FEAH. Khora en connaissait quelques uns. Comme Sierra Valente, cette jeune femme qui venait d'un pays sur lequel l'Olympe n'avait aucune autorité. Iel avait entendu des rumeurs sur elle et comme chaque fois qu'iel rencontrait ou entendait parler de quelqu'un susceptible d'avoir du pouvoir, et/ou alors d'avoir une influence sur sa vie (Sierra étant de la première catégorie) iel avait visité ses rêves. Ce qu'iel avait vu été intéressant, suffisamment pour qu'iel décide de s'en souvenir afin de pouvoir vendre ou les échanger si on le lui demandait des informations sur elle.

Lorsque tout le monde fut là, le conseiller d'orientation se mit à faire son petit speech. Le manque de confiance de cet homme qui portait le nom de son aîné était partagé. Même en mettant de côté le fait qu'il ne l'aimait pas, comment faire confiance à quelqu'un qui passait son temps à se dissimuler derrière des illusions. Koko était donc décidé'e à remettre en question tout ce que cet homme leur disait. Et là justement, ça sonnait faux. Première personne à être arrivée, Koko supposa que c'était à ellui d'être la première à se présenter. Iel dit donc son nom et ce qui lui importait.

Je suis Khora. Je fais des pliages de papier.

Iel ne lui dit pas ses projets d'orientation. Principalement parce qu'iel n'avait pas confiance en lui pour ça, mais aussi parce qu'iel ne voyait pas l'intérêt, lorsqu'on avait espérance de vie qui dépassait à peine le siècle dans le meilleur des cas, de prévoir son avenir. Pour en revenir à Sierra, qu'iel avait remarqué à son entrée, iel savait que malgré ce qu'elle avait réussi à faire sur le campus, la jeune femme était seulement humaine. Pas de métissage avec une autre espèce, pas de malédiction ou de bénédiction des dieux ou des fées, une humaine comme il y en avait des milliards maintenant sur cette planète, comme ceux et celles qui lui avait donné envie de tester l'humanité. Quant à ellui, iel était un'e étudiant'e très moyen'ne. Une fois passé l'intérêt de la découverte de la vie d'étudiant'e, iel avait préféré utiliser le peu de temps qu'iel avait à expérimenter plutôt qu'à rendre des devoirs parfaits. Alors, si Sierra et ellui étaient ici, et pas, disons, son camarade Michel et son don sur la flore, ce n'était pas pour leurs capacités qu'ils avaient été choisi mais pour autre choses.
Koko braqua ses yeux noirs qui ne clignaient presque jamais sur Morphée, et demanda de cette voix morne que le blond détestait tant :

Ce n'est pas pour nos 'excellentes capacités' que vous nous avez réuni ici. Je n'en ai pas. Quelle particularité commune partageons-nous tous ?

L'ambiance était morne, il faisait froid et une odeur infecte lui agressait les narines. La réunion qui s’apprêtait à avoir lieu promettait d’être sacrément déprimante. À peine dix minutes plus tard, Sierra envisageait déjà de quitter la salle quand une voix familière résonna à l’entrée.

« Yo Nora, la forme ? salua-t-elle sans lever les yeux de son portable. J’savais pas qu’on t’avait invitée à ce truc. Perso j’pense me barrer bientôt. »

Elle avait prononcé cette dernière phrase en haussant le ton pour qu’elle parvienne aux oreilles de Morphée. Avec un peu de chance, il lui viendrait l’idée d’annuler cette rencontre absurde à laquelle on les avait conviés, leur épargnant à tous une bonne heure d’ennui collectif.

Ce ne fut que lorsque la lycante s’installa à côté d’elle, près de la fenêtre ouverte, que Sierra eut la décence de baisser son portable pour observer ce qui se passait autour d’elle. Elle connaissait bien Nora, seule membre de son trio qu’elle appréciait et qui ne passait pas le plus clair de son temps à l’accabler de ses manières pompeuses. La louve avait un grand potentiel et Sierra s’entendait bien avec elle. Elle espérait un jour réussir à la convaincre de se joindre à elle. La lycante pourrait bien devenir son alliée la plus précieuse pour mettre en place ses futurs projets.

Songeant toujours à quitter la pièce même si la présence de son amie lui en avait réfréné l’envie, Sierra balaya rapidement la salle du regard à la recherche de potentielles recrues. Quelques rangées plus loin, elle aperçu des personnes qu'elle ne connaissait pas, comme cet étudiant à l'aspect laiteux et cette fille bien apprêtée. À première vue, aucun ne correspondait au profil qu'elle recherchait. Dommage, elle s’était donné la peine de venir jusqu’ici pour rien. Cela lui donnait d’autant plus envie de partir dès à présent.

Pendant ce temps, le conseiller d’orientation avait pris soin de fermer la porte et toutes les fenêtres pour renforcer l’ambiance oppressante de sa réunion. Il avait également éteint tous les radiateurs pour qu’ils puissent continuer à grelotter malgré l’absence de courants d’air glacial provenant de l’extérieur.

« Vas-y, confisque nos blousons tant que t’y es. »

Elle réajusta le col de sa doudoune et glissa ses mains au fond de ses poches pour appuyer son mécontentement.

Enfin, la réunion commença et Khora fut le premier étudiant à se présenter devant tout le monde. Iel sembla préférer parler d’un de ses hobbies plutôt que d’évoquer d’éventuels projets d’avenir. Ellui aussi avait perçu la dissonance entre les propos de Morphée et le profil des personnes présentes dans la pièce, chose qu'iel n’avait pas manqué de faire savoir.

« C’est clair, iel a raison, moi non plus je n’en ai pas. Aucune chance que ce genre de boîte cherche à recruter quelqu’un comme moi. D’toute façon ça m’intéresse pas. Les super-héros c'est pas du tout mon truc, pis j’ai aut’chose à faire. »

Elle réalisa après coup qu’elle avait parlé sans se présenter.

« Moi c’est Sierra, dit-elle simplement. »

Plus ça allait, plus cette réunion prenait des airs de cercle de l'enfer. Lequel, Séphora ne savait pas, mais cet enfoiré de Dante avait eu une chance de dingue de ne pas y être passé. Entre le chauffage que le conseiller d'orientation, puisqu'il s'était présenté comme ça, venait d'éteindre, et la fenêtre fermée dans la foulée, maintenant en plus d'avoir froid on profitait pleinement de l'odeur de poussière et de renfermé du lieu.

Pour Séphora le froid n'était pas un problème, le sang de l'hiver coulait dans ses veines après tout. Par contre l'odeur de moisissure sous la poussière qui se mêlait aux dégâts du temps et du manque d'entretien efficace des lieux… C'était déjà beaucoup plus gênant. Elle plissa le nez, regrettant instantanément la source d'air frais et pur. Elle se servit un tasse de thé, plus pour profiter du parfum du mésange russe aux agrumes que par soif.

C'était déjà plus supportable. Du moins ce l'était jusqu'à ce que Mr Doisneau décide de les faire se présenter. L'ambiance prenait un tour de mélange de classe de primaire et de réunion des alcooliques anonymes. Avec les discours d'affirmations et tout le toutim. Est-ce que Morphée tentait de mettre en place une secte ?

Sephora ne pensait pas avoir autant raison pour l'aspect classe de primaire. Elle ne put retenir un pouffement quand Khora présenta ses talents pour les pliages de papier. Elle ne s'attendait pas à ça comme introduction, mais cela donnait bien le ton pour la suite. Ca risquait pas de voler bien haut. Clairement il y avait une réticence générale face à cette réunion à l'ordre du jour plus que flou.

La chose s'accentua avec la personne suivante, toujours plus ouvertement hostile. Mais oui, iels n'avaient à priori rien à voir les uns avec les autres. Après elle, la sorcière décida de se joindre à la conversation.

-Séphora, j'avoue être très curieuse quant au sujet de cette réunion. S'il s'agit d'aider à affiner notre projet professionnel, je crains qu'il n'y ait eu une légère confusion quant à la sélection des dossiers. Mon projet d'orientation est déjà fait, et je suis déjà en contact avec plusieurs cabinets d'avocats spécialisés dans la défense de supers, pour un stage optionnel pour cet été.

La sorcière ne précisa pas qu'il s'agissait de firmes spécialisées dans la défense de super-villains. Tout le monde avait le droit à une défense devant la cour, et de pouvoir gérer ses affaires financières et sociales comme iel l'entendait. Elle prit une gorgée de son thé, absolument délicieux.

Morphée détestait être là, à être coincé pour la bonne cause entre les pires cas de la FEAH.

Il ne parlait pas de tout le monde, bien sûr, surtout sa nemesis, habillé'e tout en blanc là-bas avec le manteau d'Orphée (vous rendez-vous compte, le manteau d'Orphée!), sans compter la jeune brésilienne qui semblait plus motivée par lui répondre que par son avenir.

Morphée râla dans ses moustaches mais tenta de le cacher.

Puis il soupira, songeant qu'il avait tout de même distribué des dépliants mais qu'il se retrouvait quand même avec ce genre de questions gênantes. Et que la jeune Bélami ait déjà un projet très concret, il n'en savait rien, honnêtement, il ne la connaissait que trop peu, ces jeunes étant présent'es pour une raison bien précise.

« Pourquoi vous êtes réuni'e's ici ? Il me semble que nous ne nous sommes jamais vu ou si peu. Je voulais avoir l'occasion de mieux vous connaître et éventuellement pouvoir répondre à certaines de vos questions concernant le futur. »

Il faisait vraiment froid ici, peut-être qu'éteindre le chauffage était une mauvaise idée – ce n'était même pas peut-être, c'était sûr. C'était une idée de Scipio, cette histoire d'économies d'énergie, c'était forcément une mauvaise idée.

« Tu peux rallumer le chauffage, Khora, il fait vraiment froid, en réalité. Miss Valente. Pouvez-vous me dire exactement pourquoi aucune entreprise ne voudrait de vous ? La voie super-héroïque n'est pas la principale, le savez-vous ? Selon vos spécialités, vous pouvez tout à fait vous spécialiser dans un domaine inattendu, comme les sciences ou la communication...par quoi seriez-vous intéressée ? »

Morphée tentait de rester zen et professionnel et il accomplissait son rôle. Il comprenait aussi ces jeunes qui ne voulaient à aucun prix s'engager dans la filière super-héroïque – et ceux qui prenaient la tangente vers une voie bien moins engageante. Le Changeforme en lui aurait voulu les en dissuader, mais il savait qu'il n'était pas rare de les voir partir (et c'était la réputation de la FEAH, à vrai dire)

« Mademoiselle Belami, j'ignorais vos projets, et j'en prends note. Si vous vous décidez à changer d'avis, pensez que je serai là pour vous accompagner. Si vous désirez créer un carnet d'adresses également. »

Il accompagna sa tirade d'un bref sourire.

En fait si, il y avait bien une chose qui les rassemblait tous. Le manque total d'envie d'être ici. En sentant le fiasco qu'allait être cette réunion, Khora aurait pu simplement se lever et partir. Morphée lae détestait déjà, iel n'était plus à ça près. Et Koko ne voyait aucune question sur aucune partie de son futur à laquelle Morphée pourrait répondre de façon pertinente. Le blond n'était pas une Moire. Mais iel avait fait l'effort de venir jusqu'ici, dans cette salle froide qui puait la poussière, autant que ça ne soit pas pour rien. Iel décida de vivre cet instant comme un moment d'expérience anthropologique. Après tout, les réunions chiantes faisaient pleinement partie de l'expérience humaine. Tout le monde les détestait, mais allez savoir pourquoi, tout le monde acceptait de les subir. Et en petit'e humain'e qu'iel était maintenant, iel allait se conformer à cette tradition.

Khora ralluma le chauffage, comme lui avait demandé Morphée. Iel espérait que la chaleur rendrait tout cela un peu plus confortable. Maintenant qu'iel avait décidé qu'iel restait ici, iel décida à vivre l'expérience sérieusement. Très concentré'e, iel commença à lire les feuilles et dépliants que le conseiller d'orientation leur avait passé au début, les manipulant avec précaution. Et, oh, une des publicités était imprimée sur un papier glacé coloré et légèrement raide. Parfait. Machinalement, iel commença à le plier. Koko ne serait pas venu'e ici pour rien.

Cette fois-ci le conseiller d’orientation s’adressa directement à elle, cherchant manifestement à se renseigner sur ses ambitions. Sierra le trouvait saoulant à vouloir se mêler de ce qui ne le regardait pas. Pourquoi les entreprises ne voudraient pas la recruter ? Probablement parce qu’elle était une délinquante sans papiers, tiens. Bien sûr, elle se garderait bien d’annoncer cela devant tout le monde. Quant à la voie super-héroïque, c’était évidemment hors de propos, et elle était au courant qu’il ne s’agissait pas de la seule voie à emprunter, fort heureusement.

« Oui, je l’sais. Et si vous m’connaissiez, vous sauriez que je n’suis pas du genre à passer par les voies principales. Ma spécialité ? J’dirais l’business… et l’combat. »

Elle aurait pu se contenter de ces informations, mais elle voyait déjà Morphée revenir à la charge avec toujours plus de questions. À l’instar de Séphora, la fille bien apprêtée qu’elle pouvait apercevoir quelques rangs plus loin, elle avait déjà un projet bien planifié. La brésilienne entreprit donc d’en faire part, espérant qu’on la laisserait tranquille après ça.

« Ah et, moi aussi j’ai d’jà un projet. Tes boîtes, là, tout ça, ça m’intéresse pas. J’compte créer ma propre… entreprise, si on peut appeler ça comme ça. Un business rien qu’à moi. J’suis d’jà bien partie. J’ai d’jà commencé à récolter des fonds et j’suis d’jà en lien avec de futurs associés. Franchement, j’vois pas c’que tu peux faire de plus pour m’aider… »

Sierra comptait mettre un terme à la conversation quand une idée lui vint. Morphée disait pouvoir les mettre en relation avec des entreprises divers et variées, dont certaines plutôt tournées vers les sciences. Cela incluait-il la pharmaceutique ? Si tel était le cas, il pourrait l’aider à s’introduire dans un laboratoire à l’occasion d’un stage. Si elle jouait bien ses cartes, elle pourrait obtenir un double des clés pour s’assurer un accès permanent à leur zone de stockage. Voilà qui lui offrirait de quoi se lancer dans un tout nouveau type de commerce, celui-là même qui permettait à son père de subvenir à leurs besoins, jadis, dans les favelas de Rio.

« … à moins que… à moins qu’tu connaisses un bon labo d’pharmacie. Tu sais, là, l’truc où on fabrique des médicaments. Ça m’aiderait bien, ça, à lancer mon « entreprise ». »

Séphora fronça des sourcils avec une irritation qu'elle ne prenait même plus la peine de tenter de masquer, ou du moins atténuer. Elle avait été convoquée à cette réunion absolument désastreuse, sans motif précis annoncé, on mobilisait de précieuses heures de sa vie qu'elle pourrait consacrer à des choses bien plus intéressantes, comme compter les poils de la moquette. Et tout ça pour apprendre que l'abruti qui leur servait de conseiller d'orientation n'avait même pas pris la peine de lire son dossier. Putain, ça avait bien valu la peine de rédiger une lettre de motivation et de joindre plusieurs lettres de recommandation !

-Merci Monsieur Doisneau, je n'hésiterai pas à faire appel à vos services dans le cas très improbable où j'en aurai besoin. En espérant que vous lirez mon dossier à ce moment-là.

Le sourire sur les lèvres de Séphora n'avait rien de doux sous le vernis de politesse qu'il présentait. Ses mots ne cherchaient pas à dissimuler les lames qui se trouvaient dessous. Elle aurait traité directement Morphée d'incompétent sans cervelle que le résultat aurait été le même. A la différence qu'elle aurait été bien plus directe et bien moins polie.

Cette réunion était une véritable catastrophe. Séphora repris une gorgée de son thé, en écoutant d'une oreille Sierra prendre la suite. Oh, le business, voilà qui était intéressant ! La sorcière reporta son attention sur sa camarade, l'examinant désormais comme un chat contemple un bol de crème. Et en plus elle cherchait un labo pharmaceutique ! Oh les Moïres faisaient bien les choses; D'un geste élégant Séphora plongeant sa main dans son sac pour en tirer un porte carte argentée. Un mouvement fluide et elle tendait entre ses ongles parfaitement manucurés une carte crème à Sierra.


-Si je peux me permettre, je crois que les entreprises Belami peuvent répondre à certaines de tes demandes. Nous sommes toujours enthousiastes pour soutenir des initiatives indépendantes. Si tu contactes la personne sur cette carte en donnant mon nom tu auras un rendez-vous rapide pour exposer ton projet.

Sourire commercial absolument parfait et un sésame que l'on ne pouvait pas refuser. Finalement cette catastrophe allait peut-être servir à quelque chose.