Non seulement Rowan peinait à rattraper tout son retard de connaissance, mais en plus, il ne parvenait pas à suivre le rythme de l’université. Tout allait trop vite pour lui qui avait déjà un train de retard, si bien qu’il ne savait plus où donner de la tête. Il essayait bien de rattraper ce qu’il loupait le soir, jusqu’à tard dans la nuit, mais son sommeil en pâtissait - et après, il suivait encore moins les cours déjà hors de sa portée. Alors forcément, ainsi piégé dans une boucle vicieuse, Rowan s’attirait des ennuis avec certains professeurs. Sans surprise, le personnel administratif ne se souciait pas de lui ou de ses difficultés ; ce qui était déjà un peu mieux que le mépris et le dégoût des forces de police, mais pas vraiment utile pour l’aider. Il y avait bien le secrétaire, qui paraissait un peu plus ouvert que les autres, mais Rowan ne parvenait pas à le cerner entièrement en dépit de son pouvoir, et entendre tout le monde cracher dans son dos ne l’aidait pas à se faire une meilleure opinion.

Le soupir au bord des lèvres, Rowan rajusta la bandoulière de son sac sur son épaule. Pour l’heure, il n’avait pas vraiment beaucoup de choix à sa disposition. Il essayait de se raccrocher aux branches comme il pouvait, et cela commençait par assumer l’heure de colle donnée par l’un de ses enseignants pour cause de somnolence en cours. En même temps, il ne comprenait déjà pas tout ce qui l’entourait, alors comment pouvait-il prétendre cerner la subtilité de l’image de marque ? Quoi que cela veuille dire. Rowan n’était toujours pas certain d’avoir compris l’objet de cette matière.

Après une brève hésitation, il frappa contre la porte de la salle de classe, et attendit l’invitation pour entrer. Rowan ne savait trop à quoi s’attendre, ou même ce qu’il était censé faire - il n’avait jamais eu d’heure de colle dans sa brève existence de lémure. C’était dans ces moments-là qu’il regrettait de ne pas savoir où trouver ‟internet”, qui aurait pu lui fournir une explication sans passer pour un idiot auprès des autres.

Le professeur-nuage l’attendait, avec l’indifférence - ou l’ennui, plutôt - qui imprégnait toute son aura. A croire que l’enseignant avait tout sauf envie d’être là. Il rappelait un peu à Rowan toute cette flopée d’étudiants qui avait choisi de poursuivre ses études, pour finalement sécher les cours dès que l’occasion se présentant - quel était l’intérêt ?

— Bonjour, monsieur. (vraiment, Rowan n’était pas certain de ce qu’il était censé, alors il resta planté debout entre deux tables après avoir refermé la porte derrière lui.) Vous vouliez me voir ?  

L’attitude du professeur laissa Rowan perplexe, qui ne sut que faire. Le nuage disait tout et son contraire en moins d’une minute, plongé dans un ennui profond, et se fichant bien de déstabiliser son étudiant. Il lui rappelait quelque peu un ancien employeur qu’il avait côtoyé l’espace d’une semaine ; l’homme se fichait bien de former ses nouvelles recrues, mais ne manquait pas la moindre occasion pour leur reprocher leurs erreurs. La comparaison n’était guère agréable, si bien que Rowan ne bougea pas d’un iota, la queue enroulée autour de ses jambes comme pour le protéger de l’absurdité de l’enseignant.

— … Le haricot ?

Aux dernières nouvelles, les haricots étaient des gousses qui se consommaient cuites, souvent revenues avec du beurre à la poêle, alors qu’était le rapport avec l’heure de colle ? Que voulait dire le professeur ? Rowan le dévisagea, complètement perdu, en quête d’une réponse qui n’advenait pas, tandis que le nuage poursuivait ses explications sur ses attentes. Avoir du style, sur un sujet de son choix ? Il avait beau essayer, il ne comprenait pas vraiment le but de l’exercice, et encore moins ce qu’attendait son professeur. Peut-être aussi parce qu’il n’était pas certain de cerner ce que voulait dire ‟avoir du style”.

Bon gré mal gré, Rowan essaya de se rappeler ses notes sur le cours d’image de marque, sans grand succès. Il se souvenait de quelques liens avec les héros, et il se demanda s’il n’y avait pas un lien avec l’image que renvoyait les héros - mais pourquoi appeler cette matière ‟image de marque”, si le sujet était l’image d’un héros ? L’impression qu’il laissait à la foule comme à la presse ? Rowan n’en savait fichtrement rien, et il ne savait pas non plus quel était son propre style.

Est-ce qu’être perdu au quotidien comptait comme un style à part entière ?

Finalement, Rowan se força à prendre une profonde inspiration pour essayer de réfléchir et de trouver une solution. Le style n’appartenait pas qu’aux héros. Le policier qui l’avait aidé, là où tous ses collègues le jugeaient à cause de son apparence, possédait un charisme certain qui poussait à l’admiration. Et surtout, cet homme ne s’était pas laissé décontenancer par les reproches de ses collègues. Il avait puisé dans ses propres forces pour avancer ; et il l’avait bien dit à Rowan, après lui avoir remis tous ses papiers. Il devait trouver sa propre force pour se faire une place dans ce nouveau monde.  

— Est-ce l’ennui qui vous pousse à chercher ainsi une distraction ? Ou la frustration ?

Le nuage ressemblait un peu à tous ces étudiants qui s’endormaient sur les tables de l’amphithéâtre, faute d’intérêt pour le cours. Certains réfléchissaient même à des diversions pour pimenter un peu l’heure afin de ne pas mourir d’ennui.

— Je ne pense pas être le mieux placé pour vous offrir une… bonne distraction.