Née à Brajairac le 18 mai 1990, Marissa a vécu une enfance paisible dans le sud-ouest de la Gaule. Calme et bonne élève, elle faisait le bonheur de ses parents qui lui présageaient un avenir brillant. Du moins, c’était sans compter l’apparition d’une mystérieuse maladie qui vint complètement chambouler sa petite vie tranquille.

Les symptômes se déclenchèrent l’année de ses 14 ans, à commencer par une dépigmentation progressive de sa peau. Rien d’alarmant cependant. D’après le dermatologue, il ne s’agissait-là que d’un simple cas de vitiligo, bien que sa peau apparaisse anormalement blanche, presque cadavérique.

Un beau matin, la fillette eut la désagréable surprise de se réveiller avec le visage enflé, rouge et douloureux. Pensant à une réaction allergique, sa mère l’emmena de toute urgence à l’hôpital qui décida de la garder en observation. Hélas, malgré les bons soins des infirmières et les prescriptions des médecins, la situation ne cessa d’empirer. Bientôt, Marissa sentit l’entièreté de son visage se nécroser. Ses yeux tombèrent, tout comme son nez et sa bouche, la laissant définitivement aveugle. Et puis, soudainement, alors même que le personnel soignant avait perdu tout espoir de la voir guérir et prédisait son décès imminent, l’état chaotique de la jeune fille se stabilisa.

Son visage s’était entièrement décomposé, laissant à sa place une hideuse crevasse de chair sombre perforée d’une dizaine de trous plus ou moins béants. À la vue du sort terrible que l’adolescente avait subi, il était difficile de comprendre comment la douleur lancinante de ces derniers jours avait pu s’apaiser aussi abruptement. Plus étonnant encore, Marissa pouvait toujours parler distinctement malgré la perte de sa langue. Ceci dit, sa voix avait énormément changé. Pareil aux échos résonnants depuis les profondeurs d'une caverne, les sons qu'elle produisait semblaient lointains et vaporeux, comme s'ils frôlaient l'irréel.

De retour à la maison après cette mésaventure traumatisante, la fillette tenta tant bien que mal de s’adapter à sa nouvelle vie sans yeux. Adieu le dessin, les promenades à bicyclette et toutes les autres activités visuelles qu’elle chérissait autrefois, la voici handicapée pour le restant de ses jours. Au moins, elle pouvait se réjouir d’avoir échappé à la mort et d’être soutenue par des parents aimants, prêts à tout pour l’accompagner au mieux dans cette terrible épreuve. Ceux-ci s’affairaient déjà pour lui trouver une place dans l’une des meilleures écoles pour malvoyants du secteur.

L’histoire de cette maladie dévastatrice aurait pu s’arrêter ainsi, mais il n’en fut rien. Alors que Marissa retirait le bandage qui enveloppait sa tête pour diner avec sa famille, des mains blanchâtres en jaillirent brutalement pour s’emparer avec force des aliments présents sur la table, les amenant à l’intérieur de son crâne par les mêmes orifices d’où elles étaient sorties. Elles cessèrent leur manège au moment où la jeune fille couvrit son visage – ou du moins ce qu’il en restait – avec ses deux mains, abandonnant derrière elles un mélange chaotique de bris de vaisselle éparpillés sur la nappe.

Cette fois-ci, la cause du phénomène ne fit plus aucun doute. Des forces occultes étaient à l’œuvre et la famille s’empressa de consulter un spécialiste de la question. Marissa découvrit alors l’effroyable origine de ses maux : un démon parasitait son corps. Comment et pourquoi ? C’était comme ça, certaines entités infernales avaient besoin d’un hôte pour vivre en ce monde, et l’un d’eux avait pris l’adolescente pour cible. Existait-il un moyen de déloger l’envahisseur hors de son corps ? Hélas non. D’après le spécialiste, il était bien trop tard pour tenter un quelconque exorcisme puisque la créature avait entièrement fusionné avec sa chair. À ce stade, leurs deux organismes n’en formaient plus qu’un, si bien qu’il était devenu impossible de les dissocier sans les tuer tous les deux. Il ne restait plus à la jeune fille qu’à accepter sa condition de monstre et à apprendre à vivre avec le parasite.

Heureusement, il n’était pas si contraignant que ça, ce démon. Il suffisait que Marissa couvre son visage pour que les mains démoniaques se replient sagement à l’intérieur de son crâne. À bien y réfléchir, l’être qui sommeillait en elle ne cherchait jamais à prendre le contrôle de son corps. Tout ce qu’il voulait, c’était manger, subsister, et rien de plus. Or, selon les dires du spécialiste, il était rare que les parasites laissent leurs hôtes humains conserver leur pleine conscience. Au contraire, la plupart des gens devenaient rapidement fous à lier et leur esprit finissait submergé par celui de la créature infernale qui essayait de s’emparer de leur corps. L’adolescente estimait donc avoir beaucoup de chance. Bien qu’il ait ravagé son visage, son démon à elle cherchait plutôt à coopérer, à établir une sorte de symbiose avec elle. Elle pouvait vivre sa vie d’humaine, lui pouvait s’alimenter de temps à autre, et cela leur convenait à tous les deux.

Pendant quatre ans, la condition de Marissa fut scrupuleusement dissimulée. On avait acheté une farandole de masques mignons et élégants pour couvrir le visage « ravagé par la maladie » de la jeune fille et on l’avait inscrite dans une école pour malvoyants où elle avait appris à s’orienter seule et à lire le braille. Le midi, elle mangeait chez elle. Le reste du temps, les autres élèves tous atteints de cécité plutôt sévère ne questionnaient jamais sa drôle d’apparence. Ainsi, sous couvert de son handicap, la jeune femme parvint à finir le lycée sans trop éveiller les soupçons.

Arrivé à l’âge adulte, Marissa compris qu’elle ne pourrait pas se cacher éternellement. Tôt ou tard, son secret finirait par transparaître et, une fois celui-ci dévoilé, elle aurait le droit au même mépris que tous les autres monstres. En dépit de son bon fond, la société n’aurait de cesse de la considérer comme une menace du fait de sa nature même, incapable d’aller au-delà des apparences. Que faire, alors ? La jeune femme aimerait changer les mentalités, prouver que tous les monstres aussi terrifiants soient-ils ne sont pas forcément mauvais. Pour cela, elle voudrait devenir une puissante héroïne prête à tout pour pourfendre le mal, et quoi de mieux pour commencer que d’intégrer une université dédiée ?

C’est ainsi que Marissa choisit de s’inscrire à la FEAH, probablement l’établissement d’études héroïques le plus enclin à accepter les gens comme elle. La jeune femme avait hâte de commencer les cours même si elle appréhendait beaucoup la manière dont les autres étudiants la percevraient. Entre sa nature semi-démoniaque et sa cécité, son bagage était lourd et elle se doutait bien qu’elle ne ferait pas l’unanimité. Plus que de devenir une héroïne, elle comptait profiter de son séjour à l’université pour mener des recherches personnelles sur les démons parasites… à moins qu’on ne lui permettre d’en faire son principal sujet d’étude ? Elle espérait ainsi en apprendre plus sur la créature qui partageait son corps et peut-être même trouver un moyen de communiquer avec elle.