Natsuki naquit il y a 20 ans à Tokyo d’un père japonais et d’une mère chinoise. Ce mariage fut très controversé et très mal vu dans la famille des deux parties. Autant, ses grands-parents paternels eurent le tact de feindre l’indifférence, autant ses grands-parents maternels eux virent cela comme le plus grand affront que leur fille put leur faire. Ils coupèrent les ponts avec elle, déclarant que ses deux grands frères eux, faisaient la fierté de la famille. La mère de Natsu ne semblait n’avoir jamais eu de rancoeur contre eux car elle savait dans quoi elle s’engageait en épousant un Japonais mais elle avait décidé de suivre son coeur et non sa tête, pour une fois. Mais la petite fille voyait que son visage se teintait de mélancolie lorsqu’elle pensait à sa famille restée en Chine.

Quand on est enfant, il y a tellement de choses que l’on ne comprend pas. Et parmi tous ces « pourquoi le ciel est bleu ? », « pourquoi le soleil et la lune ne se rencontrent presque jamais ? » ou « pourquoi on lançait du sel avant un combat de sumo ? », il y en avait une que ses parents auraient voulu ne pas entendre: « Pourquoi on dit que j’ai le sang sale et que je suis une étrangère ? ». Natsuki ne comprenait pas en quoi le fait qu’elle soit sino-japonaise faisait de son sang quelque chose de dégoûtant, elle était quoi qu’il arrive asiatique. Elle était bien trop jeune pour connaître le conflit entre les deux nations qui faisait rage il y a des années et qui persistait encore. D’ailleurs, ses petits camarades non plus mais à force d’entendre de la bouche de leur grand-père que les Japonais étaient une population plus intelligente et plus remarquable que ses voisins chinois et coréens, ils se mirent à penser que eux, les Japonais, leur étaient supérieurs. Il avait fallu beaucoup de temps à Natsuki pour comprendre. Elle avait eu alors un seul but : prouver à ses camarades qu’elle était aussi légitime qu’eux et bien qu’elle ait une double nationalité, son sang se portait très bien et qu’il était aussi rouge et propre que le leur. C’est à partir de là qu’elle a commencé à avoir un caractère plus combatif.

Natsu apprit très tôt qu’elle devait se montrer gentille et serviable, travailleuse et disciplinée. D’ailleurs, elle apprenait ses valeurs auprès de ses parents qui avaient tous deux ces qualités. Son père était un forgeron réputé qui tenait toujours ses promesses et finissaient ses commandes toujours à temps, quitte à finir plus tard pour fignoler son œuvre. La petite fille adorait aller le voir à sa forge, non loin de la maison. C’était un endroit étrangement chaleureux et sécuritaire. Quand elle ne se sentait pas bien ou quand elle était triste elle allait s’y réfugier. C’est sûr, elle ne risquait pas d’aller dans le bureau d’avocat de sa mère qui était un peu trop austère à son goût (et le trajet trop long aussi, cela va s’en dire). Son père prenait toujours le temps de lui expliquer certaines choses de son métier en prenant bien soin que les doigts de sa fille restent loin de la fournaise et des armes tranchantes. Au fur et à mesure, la petite fille se prit de passion pour le travail manuel de son père et elle décréta qu’elle finirait par devenir forgeronne elle aussi. Ses parents la poussèrent dans ce sens et bien que certains disaient qu’il n’était pas convenable pour une fille de faire un métier pareil, Natsuki rétorqua sans méchanceté qu’elle était tout aussi capable que n’importe quel homme.

Ce qu’elle n’aurait jamais prédit, c’était que ses parents finissent par divorcer. Ce fut un choc, voire même une nouvelle dévastatrice. Jamais grand Dieu elle n’aurait imaginé cela, ils ne se disputaient jamais, son père regardait toujours sa mère avec adoration et elle-même n’était que sourire et attention pour son époux. Mais quand on a 8 ans, on ne remarque pas certaines choses et les parents de Natsuki se disputaient mais jamais en sa présence. Sa mère retourna en Chine lorsque le divorce fut proclamé. Ce fut un autre déchirement. Sa mère venait la voir aussi souvent que son travail le lui permettait et une fois par an Natsuki prenait l’avion pour aller en Chine. Elle parlait d’ailleurs très bien le mandarin. Elle l’avait apprise en même temps que le japonais alors il lui était arrivée quelquefois de mélanger les deux langues dans une phrase.

Un peu plus d’an après, une fois la nouvelle routine bien installée, Natsuki se disait que finalement elle arriverait à vivre ainsi, même si sa mère lui manquait beaucoup. Il arrivait que plusieurs soirs par semaine son père dû la confier à ses grands-parents et il venait la chercher tard le soir voir même le lendemain matin. Et un samedi, il s’installa à côté d’elle et lui expliqua qu’il avait rencontré une autre femme et que c’était pour cela que Natsu se retrouvait à passer certaines nuits chez ses grands-parents. Sur le coup, elle avait été en colère et elle avait fait un caprice. Elle était allée bouder pendant près d’une heure. Elle était partie se réfugier dans la forge. Elle rongeait son frein pour ne pas se mettre en colère. Elle attrapa un couteau qui traînait. Il était formellement interdit qu’elle touche à ça mais sa colère lui fit oublier les interdits. Elle faisait tourner le couteau dans sa main encore en encore pour soulager le trop-plein d’émotions lorsqu'un phénomène qu’elle ne s’attendait pas à voir se produisit. Au centre de la lame, un trou se formait de plus en plus jusqu’à atteindre la taille d’une noix. Elle se réfugia dans les bras de son père, apeurée. Il fut étonné, mais pas plus que ça. Il lui expliqua que son arrière-grand-père avait eu le même don et que c’était pour cela que depuis dans la famille ils étaient forgerons de père en fils. Une fois Natsuki calmée et rassurée, il lui demanda si cela la dérangeait que sa nouvelle compagne vienne à la maison manger pour la rencontrer. Bien évidemment, Natsuki ne pouvait le lui refuser. Elle voulait laisser une chance à cette femme qui semblait rendre heureux son père. Lorsqu’elle rencontra cette femme, la petite fille s’attacha aussitôt à elle. Elle était très gentille, rigolote et pas intrusive. Elle revit cette femme plusieurs fois et elle lui parla longuement de son fils qui avait à peu près son âge. Elle venait de fêter ses 10 ans et elle avait hâte de le rencontrer.

Elle ne fut pas déçue et elle l’apprivoisa aussitôt. Elle appréciait beaucoup Shigeru et lorsque leurs parents se marièrent, elle fut très satisfaite de pouvoir dire qu’il était son frère. L’un des défauts de Natsu s’était justement qu’elle s’attachait trop rapidement aux gens. Sa gentillesse et sa dévotion pouvaient être interprétées par certains comme de la crédulité voir de la naïveté. Natsuki se fit marcher sur les pieds par plusieurs de ses camarades qui profitaient de sa gentillesse pour qu’elle les « aide » avec leurs devoirs. Auprès de Shigeru, elle apprit aussi à dire non sans rougir de honte et bafouiller des excuses. Mais elle restait toujours de nature un peu naïve.

Ils rentrèrent tous les deux dans le même lycée et se retrouvèrent dans la même classe. Natsuki avait son groupe d’amis, Shigeru le sien. En dernière année, la jeune fille sortit avec un garçon que son frère semblait connaître un peu car elle les avait déjà vu traîner ensemble de temps en temps alors que généralement ils ne fréquentaient pas le même cercle d’amis. Un soir, son petit copain lui demanda de le rejoindre dans un endroit bien trop glauque pour qu’elle accepte. Il avait insisté en lui disant que Shigeru y allait aussi mais elle avait tout de même refusé. Mais voilà, les heures s’engrainaient et elle n’avait pas de nouvelle de son petit ami et son frère ne répondait pas non plus. Elle rejoignit l’adresse où elle aurait dû les rejoindre et elle eut aussitôt froid. Quelque chose dans l’air avait une aura sinistre. C’était pire que les films d’horreur qu’elle adorait mâter. Elle appela tour à tour son petit ami et son frère. Elle pensait rebrousser chemin et rentrer en se disant qu’ils devaient être partis depuis longtemps et qu’ils n’avaient juste pas vu ses messages mais une ombre approchait. Natsu recula de terreur et était prête à hurler s’il le fallait mais au dernier moment elle reconnut Shigeru. Elle fut soulagée et s’apprêtait à le prendre dans ses bras tellement elle avait eu peur. Mais quelque chose dans son regard le dissuada. Il ne semblait pas lui-même. Elle avait beau l’appelé il ne réagissait pas. C’est là qu’elle vit la profusion de mouche qui commença à bourdonner autour de lui. Elle hurla et prit ses jambes à son cou. Le lendemain, après une horrible insomnie, elle retourna en cours et elle retrouva son petit ami qui semblait en état de choc. Pourquoi elle n’en savait rien. Elle revit aussi son frère et il semblait aller bien mais quelque chose avait changé, c’était certain. Ce qui s’était passé la veille au soir n’était malheureusement pas un cauchemar.

Natsu aimait beaucoup son frère donc elle s’inquiétait aussi pour lui. Elle se mit à travailler d’arrache-pied pour avoir de bonnes notes et elle passait beaucoup de temps dans la bibliothèque du lycée et le week-end dans celles de Tokyo. Elle voulait comprendre ce qui s’était passé mais elle ne trouva rien. Elle partit finalement à l’université. Lorsqu’elle apprit récemment que son frère allait rejoindre la F.E.A.H., elle se décida à harceler son ex pour qu’il lui raconte ce qui s’était passé au lycée. Si Shigeru allait là-bas, ce n’était pas pour rien, elle en était certaine. Elle finit par comprendre à quoi lui et les autres avaient joué cette nuit-là. Un jeu bien trop dangereux et bien trop complexe pour eux tous. Elle fit le rapprochement : Shigeru était forcément possédé. Elle décida de rejoindre elle aussi la F.E.A.H. pour surveiller son frère mais aussi pour l’aider. Là-bas, leur bibliothèque devait être bien mieux fournie en matière de surnaturelle. En plus d’être une manipulatrice de métal, elle faisait des arts martiaux depuis la fin du collège. Natsuki ne quitterait pas cet institut avant d’avoir les réponses à ses questions.